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  • Photo du rédacteurPascal

Le dialecte sumain créole

La place des langue et culture sumaines dans la société réunionnaise


Tout d’abord, je veux souligner d’abord les généralités de la langue sumaine. Puis j’expose

l’évolution de notre dialecte créole. Le sumain (on peut la dénommer également langue des signes) est une langue naturelle émergée dans la communauté sumaine depuis l’aube de l’humanité, plus précisément en milieu urbain. Au fil du temps, cette langue est transmise par les membres de la communauté sumaine ainsi que par les pensionnaires de l’école sourde (à partir du XIXème siècle). En outre, elle est également transmise par les membres de la famille sumaine.


Le sumain
Le dialecte sumain créole

La langue sumaine au cœur de la communauté


Je rappelle que la langue sumaine se trouve au cœur de la communauté sumaine et qu’elle se transmet à travers les générations. Logiquement, c’est la communauté sumaine qui est responsable de sa langue vivante, doit veiller à la préservation de cette langue transmise et diffusée. Elle se repère comme une identité culturelle et linguistique, et les Coda (voir la note en bas de cet article) sont des initiés de cette communauté constituant un espace de transmission même s’il est restreint.


Dans ce fait-là, cet espace de transmission est bien un enclavement culturel freinant tout expansion linguistique : la famille, l’école et l’association. Du point de vue sociolinguistique, le sumain est une langue sans territoire.


Un point important à noter : d’après mon expérience, certains professionnels, quel que soit leur statut, ne maîtrisent pas le sumain en matière de grammaire et de lexique. En conséquence, tragiquement, la transmission linguistique se fait avec une absence de la substance culturelle vers les jeunes Sourds dont leur langage linguistique, cognitif et intellectuel se développe avec pauvreté dans le sens de de la sémantique, ce qui corrompt substantiellement la langue sumaine, voire encourage le génocide linguistique.


La diglossie


Force est de constater que notre langue est confrontée à un contexte de diglossie : une langue minoritaire, sans frontière propre, et sans écrit, employée dans un pays où la langue majoritaire dominante est le français. Là, on peut parler le génocide linguistique justifié par les recherches universitaires.


En outre, pendant l’obscurantisme engendré par le Congrès de Milan, notre langue a d’ores et déjà été déformée par les signes méthodiques inventés par l’Abbé de l’Épée, liés profondément à la langue française qui devient progressivement une langue dominante en matière de grammaire et de terminologie. C’est-à-dire que la langue sumaine est influencée par la grammaire française. Pendant plus d’un siècle, vu son statut clandestin, la langue sumaine s’appauvrit aux niveaux du lexique et de la sémantique.


Interdite comme d’autres langues minoritaires dans un contexte politique, rappelant que le sumain demeure une langue minoritaire et diglossique, la banalisation de cette langue n’est pas finie car elle n’est pas encore perçue comme un système linguistique unique pour le moment.


La variété linguistique


Malgré cela, après plusieurs siècles, le sumain devient une langue à part entière qui a

sa propre grammaire. À l’époque de l’Abbé de l’Épée, cette langue s’introduit dans le système éducatif pour les jeunes Sourds. À partir du modèle de l’école de St Jacques de Paris, on assiste à la création de nombreuses écoles au niveau international pour accueillir les jeunes Sourds. Parallèlement, en terme de lexique, elle engendre une grande variété linguistique en raison d’une extension géographique, au début, sur le territoire français et puis à l’échelle planétaire.


En conséquence, de la diffusion de la langue sumaine naît de nombreux dialectes développés dans chaque espace fermé qu’est l’école sourde pendant les deux siècles : XIXème et XXème. Là se développe une variété linguistique propre à un groupe d’utilisateurs déterminés dans la zone géographique délimitée. Cela signifie un sous-ensemble géographique de variétés linguistiques présentant certains traits propres qui le caractérisent parmi les autres éléments de la même langue : le sumain. Donc, on peut le dire : le dialecte créole de la langue sumaine pour nous, les Sourds de la Réunion.



Le dialecte créole


En matière de langue sumaine, originaire d’une transformation fusionnelle entre le dialecte

marseillais (transmis par les sœurs de l’école sourde de Marseille) et le langage gestuel du type créole exprimé par les non-sourds, notre dialecte créole voit le jour après la création de l’école des Sourds à la Réunion vers 1956. Après plusieurs années, notre dialecte créole se développe, s’enrichit et se transmet à travers les générations.


Issu de la famille sourde, dès ma naissance, j’ai acquis la langue sumaine transmise par mes parents sourds qui constituent la première génération au sens de la linguistique. Donc, il s’agit de ma langue maternelle constituant un très bon outil de développement langagier, cognitif, psychologique, linguistique et intellectuel chez la petite enfance. Cependant, je suis parmi les 5 % d’enfant sourd des parents sourds. Ainsi, je suis le premier "Coda" sourd de parents sourds pour notre île.


Dans la vie familiale, mes parents, mes deux sœurs et moi, nous pratiquons quotidiennement le dialecte créole qui fait partie de la langue sumaine linguistiquement, même si nous résidons en France pendant plus de vingt-cinq ans. Bien que j’ai appris de manière naturelle l’autre dialecte savoyard dans l’école sourde de Chambéry pendant ma scolarité, notre dialecte créole reste immuable au sein de notre espace familial. Cela

veut dire que je pratique le sumain en utilisant à l’aise deux dialectes distincts : créole et savoyard.


C’est pour cela que nous avons préservé de manière inconsciente le dialecte créole pendant les trente ans. Lors de mon retour à mon pays natal, j’assiste avec étonnement à la quasi-disparation du dialecte créole dominé par la langue standard pratiquée par les Sourds z’oreils qui ont exercé la profession auprès de jeunes Sourds vers les années 80.


À partir de cette époque-là, au fil des années, la pratique de la langue standard devient de plus en plus importante chez les professionnels sourds et non-sourds qui ont suivi la formation dispensée par les professionnels venant de la “métropole” (terme venant du concept de la colonisation) dans notre île. Cette domination engendre involontairement un génocide linguistique et culturel sur notre dialecte créole jusqu’aux années 2000, c’est-à-dire la disparation de certains mots de type créole, voire celle des expressions idiomatiques de type créole.


En somme, ce dialecte créole qui connaît la même situation de diglossie, est substantiellement influencé et corrompu par la langue sumaine standard. Devant cette problématique, ma première réaction est de sauvegarder notre dialecte créole en renforçant l’usage quotidien de cette langue régionale qui nous tient à cœur parce qu’elle est liée de manière inhérente à la culture créole qui nous imprègne durant notre enfance.


Retrouver la place de notre dialecte créole


Afin de faire intégrer la place de notre dialecte créole au sein de la communauté sumaine de la Réunion, du fait de mon statut “Coda”, j’ai mis en place une politique de préserver notre dialecte créole sans renier la langue sumaine standard, ce qui permet de valoriser notre belle langue régionale.


Rétablir une égalité entre une langue régionale et une langue standard nous conduit à poser une question fondamentale : devons-nous relever un défi permanent pour la reconnaissance de notre dialecte créole considérée comme une langue régionale et humaine pour la communauté sumaine de la Réunion ?



 
CODA : Children of Deaf Adults. Ce sont les enfants sourds ou non issus de la famille sourde.
La diglossie se définit par la coexistence sur un même territoire de deux systèmes linguistiques : l’une possède un statut linguistique supérieur à l’autre. Cela veut dire que dans le système de diglossie, l’une des langues étouffe l’autre.
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